D’une prétendue « invention de l’amour »

Ou l’anthropologie lamentable d’Alex Taget

 

 

   On se souvient combien déjà Montaigne se riait des ridicules prétentions humaines à vouloir, par mille signes distinctifs, se démarquer du genre animal telle une âme flétrie de se sentir croupir au sein d’un corps qui pète. « La présomption est notre maladie naturelle et originelle, écrivait-il, en effet. La plus calamiteuse de toutes les créatures, c’est l’homme, et en même temps la plus orgueilleuse. Elle se sent et se voit logée ici, parmi la bourbe et la fiente du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l’univers, au dernier étage du logis et le plus éloigné de la voûte céleste, avec les animaux de la pire condition des trois ; et ce va plantant par imagination au-dessus du cercle de la lune et ramenant le ciel sous ses pieds. C’est par la vanité de cette même imagination qu’il s’égale à Dieu, qu’il s’attribue les conditions divines, qu’il se trie soi-même et sépare de la presse des autres créatures, taille les parts aux animaux, ses confrères et compagnons, et leur distribue telle portion de facilités et de forces que bon lui semble » (Essais II, 12). Se révélant encore une fois comme un philosophaillon du dernier des étages, Alex Taget, ne saurait, malgré ses prétentions, échapper à la règle. On se souvient, en effet, qu’au sein du (trop long) discours développé autour d’une prétendue Invention de l’amour « magistralement » mise en lumière dans La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud, Taget percevait dans le retournement des corps amoureux l’invention d’une sphère érotique spécifiquement humaine, œuf d’amour au sein duquel se développerait le germe d’une histoire faite de créations de gestes inédits, de postures, de poèmes et d’insoupçonnables relations. Conformément à une anthropologie primaire, déjà bien perceptible dans sa lecture très réductrice de la vie de Garfield (à laquelle on préférera une lecture compréhensive telle celle, à suivre, de ce philosophe néo-garfieldien : http://philosophe-garfieldien.skyrock.com), les animaux, condamnés à la répétition et à l’oubli, seraient évidemment exclus de cette sphère inédite et pleine de haute vie. Encore une fois se manifeste ici ce mépris de l’expérience au nom de prétendus et abstraits principes dont nul n’interroge l’origine véritable, mépris qui, on le sait, imprègne de larges pans de l’histoire de la philosophie. A rebours de quoi, on ne demande ici que d’ouvrir un peu les yeux et, plutôt que d’aller chercher dans notre for intérieur les premières vérités, de défoncer la muraille des évidences communes quitte à se perdre un peu dans la sombre forêt aux méandres infinis de la réalité. Ce qu’a fait Wim Delvoye, il y a maintenant presque une dizaine d’années, le fusil à la main, et à qui nous devons cette magnifique pièce d’amour pris sur le vif, que son immense talent de taxidermiste a immortalisé :

 

Wim Delvoye, trophy, 1999

 

 

 Nul besoin d’énoncer en quelle immense mesure une telle pièce vient bouleverser l’édifice déjà fragile de la pensée d’Alex Taget…

 

 

Z.P et Casimir Bucolic